Anticipation des émotions
Par Nils
- 8 minutes de lecture - 1589 motsLe sujet de la gestion et notamment de l’anticipation des émotions a été abordé lors de la keynote d’ouverture de la conférence Agile Tour Toulouse 2025. L’orateur présentait alors une slide intitulée “l’optimisme est un muscle qui s’entretient” et, pour entretenir ce muscle, il proposait 4 actions :
- Anticiper les émotions pour pouvoir les contrôler.
- Réapprendre à analyser ces échecs.
- Visualiser sa réussite future : développer l’aspiration.
- Profiter de l’instant présent : dédramatiser et relativiser les évènements.
Un des participants a alors demandé si “anticiper les émotions” était si bien que cela. Je ne me rappelle plus de ses mots exacts de la question. J’ai tout de suite connecté avec la dernière journée de tournoi de mon équipe de rugby de moins de 12 ans et ai répondu dans ma tête “cela peut très positif”.
J’ai donc proposé ce sujet lors d’un créneau du forum ouvert.
Voici donc le partage, nourri des questions des personnes présentes, de comment nous, les éducateurs, avons essayé de gérer la confiance et les émotions d’une équipe de jeunes rugbymen parisiens de moins de 12 lors d’un tournoi en Bretagne.
Le tournoi
Début du tournoi et ancrage
Lors du weekend de la Pentecôte, l’ensemble de l’école de rugby de mon club parisien s’est déplacé en Bretagne. 9h de bus le samedi. 9h le lundi. Et tournoi le dimanche.
Pendant cette journée, les matchs débutent à 9h30 et se terminent à 17h, chaque équipe joue 6 matches de 12 minutes. Soit 72 minutes de jeu sur 7h30 de présence.
J’ai réalisé cela en écoutant Kevin Mayer qui disait qu’un marathon de 2 jours c’était 12 minutes d’efforts et Antoine Dupont qui, lors des tournées à 7, disait qu’il était impossible de faire des discours d’avant match comme dans le rugby à 15 où il n’y a qu’un seul match. Emotionnellement ce ne serait pas jouable.
Notre rôle, dans ces journées, en tant qu’éducateur, est évidemment d’encadrer le groupe, d’animer les échauffements, d’opérer les changements, d’encourager, … Il est aussi de gérer les émotions de chacun pour que l’équipe reste soudée, unie, positive.
Disputer 6 matches signifie 6 préparations de match avec 6 discours pour visualiser la victoire et générer les bonnes images et les bonnes émotions. C’est aussi 6 fins de match où les émotions peuvent être vives, que ce soit en cas de victoires ou de défaites.
Avant le premier match, je rappelle aux joueurs le but de la journée : “on va gagner, on va gagner.” Je précise, pour vous chères lectrices et chers lecteurs, que ce jour-là, l’équipe est très compétitive et que la victoire du tournoi est envisageable (ce qui n’est pas le cas à chaque tournoi).
Donc, ce jour-là, je parle très vite de victoire. D’autres fois, je peux parler de cohésion ou de plaisir.
Nous présentons également les 3 ingrédients principaux, les 3 principes majeurs de ce début de tounoi :
- on fait tomber (sur les placages)
- on avance
- ET on reste ensemble (dit autrement on reste soudé et ce quoi qu’il arrive)
Le premier match de l’équipe se passe très bien : 12 minutes, 12 - 0. Notre tournoi est lancé.
L’enjeu de cette fin de match est multiple : profiter de ce moment, ne pas se sentir trop beau, ne pas se sentir arrivé et ancrer les émotions du moment .
La gestion des émotions commence donc par profiter de l’émotion générée par le 12 - 0 et par essayer de l’ancrer pour essayer d’y revenir plus tard. Je leur partage que cette émotion agréable nous servira pour affronter les cas de forte houle, de fortes émotions.
Jongles entre joie, forte houle et retour à la lucidité
Nous perdons le 2e match 2 - 4. Là, c’est clairement plus compliqué à gérer pour eux. Pour tout un tas de raisons. Mon collègue et moi les laissons vivre leurs émotions désagréables, certains pleurent, d’autres pestent ou maltraitent la terre du terrain avec leurs poings. Pourquoi les étouffer, les ravaler ?
Quelques minutes plus tard, nous réunissons le groupe en leur rappelant les émotions suite au premier match. Ils comprennent maintenant ce que “forte houle” signifie. Ils s’apaisent. Ils prennent conscience que le match à venir n’est pas obligatoirement synonyme d’émotions désagréables et peut générer les émotions ressenties suite au premier.
Le 3 match se solde par une victoire et ils revivent les émotions du premier. Fin de la matinée.
L’après-midi, nous gagnons le premier match. Bienvenue en demie. Là, c’est l’explosion de joie, ils entrent sur le terrain comme si ils avaient gagné le tournoi, sautent, s’enlacent. C’est plein de fraîcheur, de spontanéité. C’est beau.
Ensuite, la défaite en demie est très dure à avaler, les visages grimacent. On se raccroche aux émotions des victoires, on rappelle le “on reste ensemble” avant d’aller en petite finale. Ils commencent fort, mène rapidement 2 - 0. Il s finiront 2 - 2 et 3e ex aequo.
Retour sur cette journée
Ce jour-là, les enfants ont été très appliqués en match : sur leurs coups d’envoi, sur les réceptions de coups d’envois, sur leur organisation en défense, sur l’alternance en attaque, …
J’aime à croire que l’anticipation des émotions a eu son rôle dans cette application.
Ca c’est sur le plan rugby, sur le plan du groupe, ils ont kiffé, ils ont pris du plaisir à vivre ensemble sur et en dehors du terrain.
Suite à cette discussion
L’avant tournoi
Je réalise que j’ai été très excité la veille du tournoi, que j’ai sans doute vécu, sur le plan émotionnel, mon tournoi un jour avant. Cela m’a sans doute aidé à avoir la tête froide et les pieds bien ancrés pour aider l’équipe à affronter leurs émotions.
Ca me rappelle les entraîneurs qui montrent, la veille ou l’avant veille d’un gros match, des montages vidéos préparées avec la complicité de la famille des joueurs.
Quelques questions des personnes présentes
Comment tu gères les changements ?
On gère les changements d’abord en fonction des blessures et de l’état de fatigue et ensuite on essaie d’égaliser le temps de jeu.
Comment vous vous répartissez les rôles entre éducs pendant un tournoi ?
Pendant un match, un de nous gère les changements et l’autre est de l’autre côté du terrain pour donner quelques consignes, pour replacer certains joueurs.
Avant ou après les matches, le plus souvent un·e seul·e parlent, indivuellement, nous livrons déjà beaucoup de messages aux enfants, alors 2 voir 3.
Comment tu gères l’optimisme avant et après le match avec des vestiaires séparés ?
Nous avons évoqué les vestiaires séparés car notre groupe U12 est mixte. 3 filles sur une cinquantaine d’enfants.
Avant les matches et parfois avant les entraînements, quand tout le monde est en tenue “terrain”, nous les réunissons dans le même vestiaire pour parler avec le groupe entier.
Comment tu gères les parents pendant les matches ?
J’ai commencé à répondre à cette question par un boutade : “nous ne sommes pas au foot”. Y’a quand même un peu de ça, il n’y a pas beaucoup de dérapages lors de nos matches. Parfois, les encouragements se font plus forts quand l’enjeu et l’intensité grandssent mais il est extrêmement rares d’avoir des sifflés ou des insultes.
En ce qui concerne les parents de notre club, nous essayons de leur communiquer beaucoup d’amour avec des photos de leurs enfants, en expliquant notre suivi pédagogique, en organisant une réunion de début d’année, … Cela construit un climat calme et serein où les insultes sont absurdes.
Et les parents qui mettent une pression sur la performance ?
Le rugby en U12 comme en U8, U10 et U14, c’est, d’après la Fédération Française de Rugby, du rugby éducatif et pas du rugby de compétition.
C’est un argument fort pour parler aux parents.
Educatif, cela signifie qu’en début d’année il n’y a pas de placages lors des matches, notamment pour accueillir les nouvelles et les nouveaux, pour leur laisser le temps d’appréhender et de s’essayer aux contacts (placages, rucks). C’est aussi des oppositions tous les samedis mais qui n’alimentent pas un classement qui pourrait être synonyme de montées ou de descentes en fin de saison. Les scores du samedi c’est les scores de ce samedi et c’est tout.
Et si tu perds le premier match ?
On m’a posé cette question car nous avons tendance à bien débuter nos tournois. Tout dépend de l’ambition de la journée, si nous sommes venus pour gagner, cela peut compliqué. Je leur dis que les meilleurs 2e du matin se qualifient et je cherche avec eux ce qu’ils ont bien fait, ce qui a bien fonctionné dans le match. Parfois, ce sont des gestes d’attaque même petits, parfois des gestes défensifs, parfois c’est l’union du groupe, …
Quand on ne vient pas pour gagner, que ce n’est pas annoncé, c’est beaucoup plus simple, je rappelle le but de la journée : rigoler ensemble, construire un groupe, …
Comment peut se matérialiser l’ancrage ?
Si on veut ancrer plus longuement les sensations de bien-être, les émotions qui calment reconnectent ou galvanisent, il faudrait répéter à l’entraînement. A chaque fois que ces sensations, émotions arrivent, il faudrait que chacun fasse un geste, le même à chaque fois et différent d’un personne à l’autre. Un geste répétable en conditions de match : se toucher le poignet, poser les mains sur les hanches et regarder au loin, fermer les yeux et visualiser une image, …
Bibliographie
- Les secrets des All Blacks de James Kerr, livre qui parle notamment d’ancrage et de la notion de tête bleue (présence consciente) et tête rouge (présence altérée).