Créer du vide
Par Nils
- 6 minutes de lecture - 1250 motsJe me lance dans l’écriture de cet article et je me dis : j’aimerais que cet article aide celles et ceux qui le liront à créer du vide, pour elles et eux, pour leur quotidien, pour leur entreprise et à comprendre les bénéfices.
Quand je le relis, je trouve que cet article ressemble à un patchwork de moments, de réflexions, de conversations. Bienvenue dans ma tête.
Au quotidien
La rencontre
La première fois que j’ai entendu cette expression, c’était dans la bouche de Pablo Pernot. Lors des cercles de coaches que nous organisions tous les mercredis chez benext, il y avaient de nombreux sujets, de nombreuses situations à étudier, à décortiquer. Après une présentation de ces sujets, de ces situations, chacun·e était invitée à donner une idée, une piste pour avancer.
Une fois, Pablo a dit quelque chose comme “tu peux essayer de créer du vide.” Dans le contexte d’un accompagnement d’équipes, cela signifait de dire aux équipes accompagnées ou au manager que pendant quelques semaines voire quelques mois, le coach ne viendrait plus. Cette non-présence ne devrait pas être prise pour de la feignantise, de l’incapacité à venir, des vacances, … Non. Cette non-présence était un acte de coaching en elle-même : que se pour passerait-il pendant ce temps ? Qu’allait-il émerger ? Comment allaient vivre les éléments mis en place ? Allaient-ils perdurer ? …
“Créer du vide”, dans le cercle des coaches benext, voulait dire quelque chose comme ça.
Théorie U
Il y a quelques semaines, j’ai découvert la théorie U, elle vise à installer des changements pérennes et adaptés. Dans cette théorie, il y a 5 phases : co-initier, co-sentir, co-inspirer, co-créer et co-évoluer.
La 3e phase, celle du milieu, celle du plat du “U”, est aussi appelé presencing.
Ma compréhension du presencing : après avoir pris connaissance de plusieurs éléments (phases co-initier et co-sentir), cette phase est un temps de suspension. Il peut être le repos d’une nuit ou plus organisé avec des pratiques présentées lors de cette formation (la marche empathique, le journaling, le théâtre de présence sociale).
J’y ai retrouvé une même idée : celle de voir ce qui émerge.
Conversation avec mon fils
Mon fils, 12 ans, constate que certaines de ses activités ne l’amusent plus autant qu’avant, il s’interroge sur ce qui l’éclate aujourd’hui, trouve que la liste des activités dont il a envie est bien plus courte qu’il n’y a pas si longtemps.
Aujourd’hui, il trouve du plaisir à jouer au rugby avec ces potes du club et jouer au basket sur le terrain du quartier avec ses potes de classe. Les beaux jours arrivant, les heures passées au basket gonflent ;-)
Je sens un peu d’inquiétude. Il cherche ce qui pourrait l’animer autant qu’avant.
Un soir, juste avant le coucher, nous abordons ce sujet, pile le moment où tous les parents ont envie de philosopher avec leurs enfants :D. Je lui dis d’ “accepter l’inconfort” de la situation. Je mets entre guillemets pour signifier que cette expression est inspirée par la théorie U qui parle de “rester dans l’inconfort”.
Pourquoi “accepter l’inconfort” dans son cas ? Parce que je n’ai pas envie que la recherche de plaisir soit une drogue et que si il ne trouve pas, il se sente encore plus démuni et triste.
Aujourd’hui, il y a 2 activités qui lui procurent énormément de plaisir, ce n’est pas assez à son goût. Je lui dis d’accepter cette situation même inconfortable et on verra ce qu’il émergera dans le reste des journées, dans sa tête, …
Ce que j’ai aimé dans cette conversation, c’est le calme que cela lui a procuré : de stressé, il est passé à détendu et s’est endormi en quelques minutes, sans appeler “Papaaaa”, ce qui est parfois le cas quand il cogite.
Mes réflexions
Peur
Parler de “vide” en entreprise ne garantit pas vraiment le succès de vos réunions ni de vos présentations. Votre audience sera sans doute plus satisfaite si vous présentez du “plein”, du “rempli”. Des diagrammes. Des plans d’actions. Des roadmaps. Des solutions.
Le vide, ne rien faire, c’est se retrouver face à sa propore existence : mais il n’y a pas rien, il y a moi. Cela peut être inconfortable. Vertigineux.
Est-ce agréable de se retrouver seul·e ? D’être en sa propre compagnie ?
Facile de faire, facile de s’occuper
Il y a mille façons de remplir le vide. Aujourd’hui, il en existe qui surpasse toutes les autres tant elle est aisée : utiliser nous avons une façon : nos smartphones. C’est terriblement facile et addictif.
J’habite Paris, prends les transports en commun presque quotidiennement, je vous laisse regarder ou imaginer le nombre de personnes regarder ces rectangles noirs (moi compris). Cette pratique est maintenant sur les trottoirs. Il y a même un mot pour décrire ces comportements : smombies. Un mélange de smartphones et de… zombie. Le smartphone, les apps, le scroll infini, … comblent le vide, chassent l’ennui, chassent le temps que nous pourrions prendre pour nous.
En entreprise, il y a les smartphones ET les réunions. Regardons nos agendas, les agendas de nos managers, de nos dirigeants. Le télétravail et la visio ont même enlevé le temps que nous prenions pour changer de salle que nous prenions quand tout le monde était les bureaux.
Changements… ou pas
Être occupé·e empêche de se regarder, ne permet pas de changer : “je ne peux pas car j’ai …” ou, en mode collectif, “c’est impossible, nous ne pouvons pas car nous avons déjà …”.
Le vide invite à réfléchir, à songer, se regarder, à regarder l’existant. Le vide invite à l’émergence.
Mijoter
Quand j’ai parlé, à mon père, de mes réflexions sur le sujet et notamment de la discussion avec mon fils. Il m’a dit “oui, il faut que ça mijote”.
J’ai, soudain, vu les plats “abandonnés” dans un coin de l’énorme poêle à bois de la ferme de ma grand-mère. Ils y passaient toute le matinée voire toute la nuit.
Ce mijotage, ce n’est pas du rien absolu, c’est un temps en suspension, un temps où il se passe énormément de choses dans le faitout. Au point de sublimer le plat.
Pimai
Je pourrai conclure cet article en parlant du burn-out des retraités, je préfère vous parler de Pimai. Pimai, ປີໃໝ່ en laotien, signifie nouvel an.
Dans la tradition laotienne, le nouvel an se fait sur 3 jours :
- Le 1er de ces 3 jours est le dernier jour de l’année
- Le 3e jour est le premier de la nouvelle année
- Et le 2e ? Il est appelé “jour sans jour”, un jour sans année. Il ne fait partie ni de l’ancienne ni de la nouvelle année.
Un ami présent au Laos pendant les festivités (avril 2025) m’écrit : “Un jour où tout le pays se met en pause, se retrouve en famille, ralentit.”
Merci d’avoir lu jusqu’à la fin, je vous laisse avec un peu de biblio et suis comme d’ahabitude preneur de vos retours, idées, cris du coeur.
Bibliographie :
- La scène d’intro du film “Je verrai toujours vos visages” où Denis Podalydès dit ceci “si vous leur laissez un espace pour réfléchir mais ils vont réfléchir sinon ils vont dire ce qu’ils ont toujours dit à tout le monde et il vont taire ce qu’ils ont toujours tu”. On entend un bout de sa tirade dans cette bande-annonce
- La page Wikipedia sur le nouvel an au Laos
- Cet extrait du film Pierrot le fou.
- Merci à Olivier Tuffier et Gabrielle Le Bihan pour les conversations.